
Malgré la montée en puissance de l’armée malienne depuis 2021, le centre du Mali, notamment le Pays Dogon, continue de se vider de ses populations à cause de l’insécurité grandissante. Les populations, terrorisées et affaiblies, choisissent entre signer des accords locaux avec les jihadistes pour survivre, résister malgré les conséquences ou quitter leurs localités pour des zones plus sécurisées.
Dans la partie exondée de l’ancienne région de Mopti, la situation sécuritaire reste précaire. Les attaques meurtrières contre les villages, les enlèvements de personnes, surtout sur l’axe Bankass-Bandiagara, les pillages de biens publics et privés, les incendies de maisons et les vols d’animaux sont des pratiques fréquentes des terroristes contre les populations civiles de la région de Bandiagara. Selon le président du Collectif des Associations des Jeunes du Pays Dogon, la situation sécuritaire s’est encore détériorée depuis mai 2024. Les forces du mal, en plus d’endeuiller les familles quotidiennement, continuent de faire fuir des milliers de personnes de leurs territoires ancestraux.
Dégradation inquiétante de la situation sécuritaire
Même si les populations de la région de Bandiagara avaient constaté une certaine accalmie, la situation sécuritaire s’est dégradée, selon Adaman Diongo, depuis mai dernier. «Depuis le 25 mai, le jour où 19 personnes ont été assassinées dans leurs champs dans la zone de Diallassagou, la situation n’a fait que s’empirer», a confié à «Nouvelle Afrique» le président du Collectif des Associations de Jeunes du Pays Dogon. Selon lui, la région de Bandiagara subit au moins trois à quatre attaques par semaine.
Ces derniers mois, les terroristes ont multiplié les attaques contre les populations civiles. À Bankass comme à Bandiagara, plusieurs personnes ont été tuées, selon des communiqués publiés récemment par des associations de ressortissants du Pays Dogon. La dernière de ces attaques est celle du village de Ségué, faisant neuf morts, plusieurs blessés et d’importants dégâts matériels. «Le bilan de cette attaque meurtrière s’élève à neuf morts dont sept à Ségué et deux à Sonfounou, ainsi que plusieurs blessés. Le bilan matériel est également lourd : le dispensaire, la pharmacie du village et l’ambulance ont été incendiés, le véhicule personnel du maire a été brûlé, et de nombreuses motos ont été emportées», avait indiqué le Mouvement Patriotique pour l’Unité et la Sauvegarde du Cercle de Bankass dirigé par Abdalah Togo dans un communiqué.
Selon le président du Collectif des Associations des Jeunes du Pays Dogon, ce sont 23 villages qui ont été victimes d’attaques terroristes depuis mai dernier dans la région de Bandiagara. Les populations de ces villages ont rejoint soit la ville de Bankass soit celle de Bandiagara. En plus des personnes tuées ou blessées, plusieurs autres ont été enlevées sur l’axe Bankass-Bandiagara, notamment au niveau du pont Parou-Songobia. Selon Abdalah Togo, plusieurs ressortissants de Bankass ont été enlevés à cet endroit. Bien que certains otages venant des communes signataires des accords locaux aient été relâchés, ceux de Bankass sont toujours en détention.
Plus de 12 000 déplacés internes depuis mai 2024
L’insécurité au centre du Mali cause des milliers de déplacés dans la région de Bandiagara. Ces derniers mois, plusieurs villages de cette région ont été rayés de la carte. «Plusieurs villages du cercle de Bankass ont été rayés de la carte du Mali. La ville de Bankass est remplie de déplacés venus, notamment, de la zone de Diallassagou», précise Mamadou Guindo, un jeune ressortissant de Bankass. Le cercle de Bankass a enregistré, à lui seul, plusieurs milliers de déplacés internes. «Des villages, à moins d’une dizaine de kilomètres, ont été contraints de se déplacer à cause de la terreur que sèment les terroristes», révèle tristement Adama Tembely, ressortissant de Bandiagara.

Selon le président du Collectif des Associations des Jeunes du Pays Dogon, plus de 1 000 déplacés ont été enregistrés seulement dans la région de Bandiagara depuis mai 2024. «De mai 2024 à aujourd’hui, au niveau de notre association, nous avons déjà comptabilisé 12 000 déplacés dans la région de Bandiagara. Le seul cercle de Bandiagara a enregistré, à lui seul, plus de 8 000 déplacés», précise M. Diongo, qui dénonce la détérioration continue de la situation sécuritaire dans la région.
Résister contre les terroristes ou signer les accords
Malgré les efforts des chasseurs, certaines populations signent des accords locaux avec les groupes jihadistes pour, disent-elles, survivre. «L’État est absent. Malgré leurs efforts louables et très salutaires, les chasseurs seuls n’ont pas les moyens de sécuriser les personnes et leurs biens dans toutes les localités. C’est pourquoi nous signons ces accords locaux pour que nous puissions vivre tranquillement», confie Adama Togo, ressortissant du cercle de Koro. Ces accords, selon lui, sont une nécessité en l’absence de l’État. Il faut rappeler que presque toutes les communes du cercle de Koro ont signé ces accords locaux. «Pour nous, il faut signer ces accords pour ne pas être victimes d’attaques des terroristes», défend un autre ressortissant de Koro qui a souhaité l’anonymat.
À l’opposé, certains ressortissants du Pays Dogon estiment que signer un accord avec les terroristes est synonyme d’être complice de ces derniers. «Les accords locaux sont très dangereux pour le retour de la paix et du vivre-ensemble au centre du Mali», affirme Abdalah Togo, président du Mouvement Patriotique pour l’Unité et la Sauvegarde du Cercle de Bankass, qui ajoute que «nous ne devons pas signer un accord avec les terroristes. Les terroristes sont des ennemis qu’il faut combattre et abattre. Signer un accord avec eux, c’est accepter d’être leurs complices, c’est accepter de ne pas les dénoncer aux FAMa, c’est accepter de cautionner leur diktat».
Une opposition farouche aux accords locaux avec les terroristes. Telle est également la position ferme du Mouvement Dana Ambassagou, qui estime qu’il faut résister face à la pression et aux menaces des terroristes. Le Mouvement trouve plus logique de se battre jusqu’à la dernière goutte de sang plutôt que de signer un accord de paix, synonyme d’allégeance aux groupes djihadistes.
Le Collectif des Associations des Jeunes du Pays Dogon s’oppose aussi aux accords locaux. « On dit qu’il ne faut jamais signer un pacte avec le diable. Pour nous, entrer en accord avec les jihadistes, c’est signer un pacte avec le diable », affirme Adaman Diongo, qui pense que «ces accords ont été conçus pour permettre aux jihadistes et à leurs complices de dominer les paisibles populations sur le territoire de leurs ancêtres».
Plusieurs villages ayant signé les accords locaux avec les groupes djihadistes ont été victimes d’attaques. C’est le cas, selon Abdalah Togo, de Diallassagou et de plusieurs autres villages qui ont ensuite été effacés de la carte du Mali.
Une nécessaire collaboration chasseurs – FAMa
Les chasseurs du groupe d’autodéfense Dana Ambassagou jouent un rôle prépondérant dans la sécurisation des personnes et de leurs biens depuis le début de la crise sécuritaire au Pays Dogon. Depuis 2017, ils ont réussi à remporter plusieurs batailles contre les terroristes. Ils protègent, malgré leurs maigres moyens, des milliers de personnes et leurs biens. «Les chasseurs se battent quotidiennement contre les terroristes. Ils défendent le drapeau du Mali. Ils sécurisent les personnes et leurs biens. Je pense que les autorités doivent favoriser une étroite collaboration entre l’armée malienne et les chasseurs pour réussir la lutte contre le terrorisme au Pays Dogon», propose Abdalah Togo, qui s’appuie sur la maîtrise du terrain par les chasseurs. Pour M. Diongo, au-delà de la collaboration entre l’armée et les chasseurs, il faut adapter la stratégie à la réalité : il faut combattre les terroristes avant d’appeler les populations à la cohésion sociale.
Il convient de rappeler qu’en juillet, plusieurs associations de ressortissants du Pays Dogon ont formulé des propositions de sortie de crise, parmi lesquelles l’installation de bases militaires, la collaboration entre chasseurs et l’armée malienne, la sécurisation de l’axe Sévaré-Bandiagara-Bankass-Koro, et le déploiement de militaires dans le Pays Dogon.
NDLR: Cet article est un article publié dans le magazine NouvelleAfrique du mois de janvier 2025.
Boureima Guindo/NouvelleAfrique