Dans les mains du Général Assimi Goïta depuis fin novembre 2024, le rapport annuel 2023 de l’Office Central de Lutte contre l’Enrichissement Illicite (OCLEI) lève le voile sur le refus des membres du gouvernement de déclarer leurs biens. Selon la loi en la matière, le refus est passible de révocation ou déchéance immédiate.
Au Mali, la Transition mène une lutte contre la corruption et la délinquance financière. Paradoxalement, sous la même Transition, les membres du gouvernement refusent de déclarer leurs biens à la Cour suprême. En témoigne le dernier Rapport annuel de l’OCLEI, remis, vendredi 29 novembre 2024, au président de la Transition.
Selon ce document, consulté par «Nouvelle Afrique», il y a eu au total au Mali 60 déclarations de biens à la date de décembre 2023 contre autant de nombre en 2022, 116 en 2021, 256 en 2020, 339 en 2019 et 629 en 2018. Sur les soixante déclarations, seulement cinq ont été faites par des membres du gouvernement. En effet, à la lecture du rapport, 5 des 29 membres du gouvernement ont déclaré leurs biens en 2023. Un chiffre en légère hausse par rapport à 2022 où seulement quatre ministres s’étaient acquittés de cette obligation mais en baisse par rapport à 2021 (12 déclarations sur 29 ministres), à 2020 (24 sur 25 ministres) et à 2019 (31 sur 38).
7 déclarations pour 151 services centraux
Le taux de respect de cette obligation dans les départements ministériels avec des effectifs importants reste très faible et baisse d’année en année, pointe l’OCEI. Par exemple, au ministère de l’Administration territoriale, le nombre des déclarations a chuté de 257 en 2018 à 4 en 2019 et à zéro en 2023. Ce qui sous-entend que le Général Abdoulaye Maïga, ministre de l’Administration territoriale à l’époque, devenu Premier ministre en novembre dernier, n’a pas déclaré ses biens en 2023.
Au département de l’énergie et de l’Eau, le chiffre est passé de 38 en 2017 à 2 en 2023. Le ministère de l’Industrie et du Commerce a enregistré une déclaration de biens en 2023 contre zéro en 2022. Au niveau de la Primature, le chiffre est stagnant avec 14 en 2023 et 2022 contre 12 en 2020.
La tendance à la baisse est également constatée au niveau des services centraux des 29 départements ministériels. Sur les 151 services centraux, il n’y a eu que sept déclarations des biens contre 23 en 2021.
2 déclarations sur 57 missions diplomatiques
Dans les missions diplomatiques et consulaires du Mali à l’extérieur, le taux de déclaration demeure également « très faible ». En 2023, il y a eu à peine deux déclarations de biens sur 57 attendues chaque année, contre neuf en 2016 et quatre en 2022, précisent les chiffres de l’Office qui ajoute que 35 des 57 missions diplomatiques et consulaires n’ont jamais effectué une déclaration. Les deux ambassades ayant connu le plus grand nombre de déclaration de biens sont celles du Mali à Genève et à Alger, respectivement 5 (entre 2017 et 2021) et 4 (2020 à 2023).
Au total, de 2016 à 2023, il y a seulement 1.873 déclarations de biens pour 1.479 personnalités assujetties censées déclarer annuellement leurs biens à la Cour suprême. Laquelle met ensuite les déclarations reçues à la disposition de l’Office pour une exploitation.
Pourquoi la baisse ? L’Office l’attribue à plusieurs facteurs, dont la méconnaissance par les assujettis de la loi relative à la prévention et à la répression de l’Enrichissement illicite. En effet, cette loi prévoit l’obligation de la déclaration de biens, l’annualité de la déclaration et la mise à jour à chaque changement de poste, à l’entrée et à la sortie d’une fonction ou d’un mandat assujettis à la déclaration de biens. Il évoque aussi les réticences diverses et multiformes, les restrictions de communication imposées à lui et la faible implication des autorités.
Que dit la loi en cas de refus ? Au Mali, la déclaration de biens est instituée par la loi du 27 mai 2024 portant prévention et répression de l’enrichissement illicite. Son article 9 cite les personnalités assujetties parmi lesquelles présidents et chefs des Institutions de la République, les ministres et les personnes ayant rang de ministres, les gouverneurs, ambassadeurs et consuls généraux, les préfets et Sous-préfets, les Chefs d’État-major et les chefs de juridiction et parquet.
En vertu de ladite loi, les ministres, qui dérogent à l’obligation s’exposent à des sanctions. Son article 35 est sans équivoque : «le refus de s’exécuter, dans le délai imparti, sera sanctionné, de la révocation ou de la déchéance immédiate de l’agent incriminé par l’autorité de nomination ou d’investiture».
La sanction en cas de fausse déclaration
La même disposition récrimine aussi «la fausse déclaration», qui est punie d’une amende égale à douze mois de salaire, perçu dans l’emploi occupé par l’agent sortant ou à percevoir par celui entrant. Ces mesures n’empêchent non plus les poursuites judiciaires pour enrichissement illicite.
NDLR: cet article a été publié dans le magazine NouvelleAfrique du mois de janvier 2025
MD/MC/NouvelleAfrique